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Un repêchage à la fois audacieux et logique pour le nouveau Canadien

Le 26 mai dernier quand j’ai été le premier analyste sportif au Québec* à y aller d’un texte assez fouillé et sans équivoque endossant la candidature de Juraj Slafkovsky comme meilleur joueur de l’encan 2022 et celui vers qui le CH devrait se tourner, sans surprise plusieurs ont réagi vivement dans la section commentaires sur Facebook :

« Ben voyons, le choix de CH est déjà fait, ça va être Wright all the way! »

« Y’a même pas de question, c’est Wright, point final. »

« Bon encore les médias qui veulent faire un débat où il n’y en a pas! »

« Tony Patoine? C’est qui ça!?!?! »

Etc.

Tout ça encouragé par, genre, 758 petits pouces en l’air!

*Pour la petite histoire, Mathias Brunet s’était lui aussi prononcé en faveur de Slafkovsky le même jour dans son segment à la radio en fin d’après-midi, mais mon texte, prêt depuis le matin, avait finalement été publié à 17h! 

L’appui à Shane Wright, l’homme au nom magique et accrocheur, était quasi unanime et affirmer autre chose, c’était bien sûr s’exposer à se faire lancer des roches.

En psychologie sociale, on pourrait difficilement trouver un meilleur exemple de conformisme. Disons ça et boire de la Molson Ex dans un bar de Lévis circa 1996…

Blague à part, j’ai bien sûr eu une petite pensée pour mes détracteurs quand le CH a repêché le grand Slovaque, mais là n’est pas l’objet principal de ce nouvel article.

Parlons plutôt de ce qui ressort du premier repêchage de Kent Hughes et de la nouvelle administration!

Slafkovsky était-il vraiment un risque?
C’est une chose d’être un analyste/chroniqueur à temps très partiel, de regarder une dizaine de matchs de différents espoirs et de statuer à contre-courant que l’on préfère untel à untel.

C’en est une autre de prendre la vraie décision et de l’assumer en plein Centre Bell avec tout le Québec et la planète LNH qui te regarde.

En apparence, la sélection de Slafkovsky avait l’air audacieuse, d’autres ont même dit risquée.

Oui, selon certaines statistiques avancées qui semblent basées exclusivement sur son jeu en Liiga, Slafkovsky n’était assurément pas un slam dunk pour être choisi au premier rang.

Mais à mes yeux, et apparemment aux yeux du CH, son jeu et ses stats en Liiga ne voulaient à peu près rien dire de pertinent sur le joueur qu’il est réellement.

Qu’importe, au plan de la volonté populaire et du conformisme qui s’était installé, le Canadien savait très bien qu’il risquait d’aller à l’encontre du souhait d’une majorité de ses fans. En ce sens, la décision pouvait paraître audacieuse.

Mais au plan hockey, il est maintenant encore plus clair à mon esprit que Shane Wright – si on veut s’en tenir qu’à lui – représentait aux yeux des dirigeants un bien plus grand risque que Slafkovsky.

Le fait qu’il ait finalement glissé jusqu’au 4e rang semble confirmer le tout.

En plus de ne m’avoir jamais renversé lors de tous les matchs que j’ai vu de lui cette année, il y avait quelque chose qui sonnait faux chez Shane Wright dans ses déclarations et ses entrevues, comme une genre de casette apprise par cœur. On dirait aussi qu’il essayait lui-même de se convaincre qu’il méritait encore d’être repêché premier.

Ce sont des choses qui ont peut-être fait tiquer Hughes, Gorton, Lecavalier, St-Louis et David Scott, le psychologue de l’équipe, lorsqu’ils se sont entretenus avec lui.

Pas sûr que Wright les ait convaincus qu’il allait pouvoir si bien gérer la pression montréalaise…

À choisir, je pense qu’il les a plutôt convaincus du contraire.

On le sentait devenir de plus en plus tendu et stressé par les questions incessantes des médias dans les dernières semaines. On sentait tout le poids des trois dernières années à se faire dire et à croire qu’il allait être le premier joueur choisi. On voyait combien c’était important pour lui de l’être et en même temps comment il commençait sérieusement à en douter.

Alors que de son côté Slafkovsky – qui avait le beau jeu, faut le dire – ne semblait pas s’en faire avec ça le moins du monde. Même se faire huer par certains petits prix Nobel qui l’attendait à l’entrée du Centre Bell n’a pas semblé le déranger une miette!

C’est tout à son honneur!

Et surtout ça prouve éloquemment que sur le plan de la gestion de la pression montréalaise, Hughes et son équipe ont vu juste. Slafkovsky semble coulé dans le roc dans tous les sens du terme.

Rajoutez à cela sa volonté évidente de faire la différence quand le score est serré et la pression à son comble et vous avez un joueur fait pour Montréal. Certains soirs, ça nous rappellera peut-être le Kovalev des grands concertos…

Un autre Kotkaniemi?
Martelons aussi qu’avec le géant Slovaque, le nouvel état-major n’a pas essayé de frapper un coup de circuit comme Timmins et Bergevin l’avaient fait avec Kotkaniemi il y a quatre ans, eux qui voulaient à tout pris repêcher un joueur de centre.

Le nouveau CH a plutôt choisi le MEILLEUR joueur à leurs yeux, celui qui a le plus de chances de sortir souvent la balle du stade, parce qu’on l’a vu le faire à répétition sur de très grosses scènes tout au long de la dernière année.

La nuance est importante!

À mon sens, il n’y a aucune comparaison possible entre les deux joueurs ainsi que les raisons qui ont mené à leur sélection respective.

En 2018, Kotkaniemi était encore frêle et malgré une belle ascension de dernière minute dans les classements suite à un très bon U18, des recruteurs de plusieurs équipes ne le plaçaient toujours pas dans leur top 10. Il avait passé le reste de l’année à l’extérieur du top 20.

Kotkaniemi était un méga reach. Un élan à coup de circuit sur une balle glissante à l’extérieur!

Avec Slafkovsky, Hughes et sa bande se sont plutôt élancés sur une rapide à 90 m/h en plein coeur du marbre. Les chances de réussite sont un peu plus élevées!

Slafkovsky est vu dans le top 10 de ce repêchage depuis deux ans, et depuis les Olympiques, personne ne l’a placé en dehors du top 5. Et depuis le dernier Mondial, plusieurs analystes et recruteurs le plaçaient premier.

Il n’est donc pas exactement sorti d’une boite de pop corn au caramel.

L’échange pour Kirby Dach, un pari bien calculé
Pendant un instant, lors que Gary Bettman s’est amené au micro pour annoncer deux échanges impliquant le Canadien on a dû être quelques-uns à penser que Shane Wright avait encore une chance d’aboutir à Montréal.

Honnêtement, ç’aurait été le scénario rêvé. Même si je ne suis pas son plus grand fan, jusqu’à preuve du contraire, Wright a tout ce qu’il faut pour devenir un bon centre top 6 dans la LNH.

Puis, Bettman a finalement annoncé le départ de Romanov et la venue de Dach.

J’aimais bien le Dach qui a fait la LNH à 18 ans avec un certain brio, mais depuis sa sévère blessure au poignet survenue dans un match préparatoire au U20 de 2021, son développement s’est arrêté net et n’a jamais vraiment repris son élan.

Un ancien haut choix qui ne se développe pas comme prévu pour XYZ raisons… Dans le marché de la LNH, Hughes et Gorton ont dû reconnaître une opportunité d’acheter pour pas trop cher, un peu comme Gorton l’avait fait avec les Rangers pour acquérir Ryan Strome contre Ryan Spooner.

Mais peu importe, le risque en vaut certainement la chandelle. Le CH avait clairement un surplus de jeunes défenseurs gauchers et une carence importante au centre.

Si l’on pense que Romanov ne peut être plus qu’un bon défenseur de deuxième capable de 25 points par saison et que Dach pourrait devenir un gros deuxième centre rapide qui place une cinquantaine de points au compteur tout en couvrant les gros trios adverses, Hughes pourra difficilement perdre au change.

Les autres sélections du CH
J’ai hâte de voir ce que deviendront Filip Mesar (26e) et Owen Beck (33e), des choix qu’on peut considérer plutôt sécuritaires, une tendance assez répandue en fin de première ronde ou en début de deuxième.

Personnellement, si le Canadien avait plutôt sélectionné le centre Tchèque Jiri Kulich au 26e rang et, un de mes préférés, Jagger Firkus, au 33e, j’aurais été un peu plus emballé!

À ces rangs, ces deux joueurs auraient représenté deux autres élans à coup de circuit avec d’assez bonnes chances de réussite.

Kulich, qui possède un tir sur réception de niveau élite ++ a survolé le dernier U18 en mai dernier avec 11 points en six matchs, dont neuf buts. Il a été le choix des Sabres au 28e rang.

Puis, l’électrisant Firkus et son tir du poignet hallucinant. L’Albertain a fumant dans la WHL à Moose Jaw (36 buts, 80 points en 65 matchs) en plus d’avoir clairement été le meilleur joueur sur la glace au CHL Prospect Game l’hiver dernier. Le Kraken a mis la main dessus au 35e rang.

Du gros, gros talent brut a été laissé sur la table ici.

Mesar – qui risque fort de jouer junior dans la OHL à Kitchener l’an prochain – demeure un beau talent digne de la première ronde. Mais peut-être l’a-t-on aussi un peu choisi pour faire plaisir à son ami d’enfance et faire sentir un peu plus Slafkovsky chez lui en l’Amérique du Nord? Allez savoir…

Quant à Beck, 51 points en 68 matchs à Mississauga, recrue du mois de novembre dans la OHL, un étudiant brillant, c’est un peu un genre de Patrice Bergeron light, bon sur 200 pieds, fait tout bien, excelle sur les mises en jeu, ultra-responsable, déjà étiqueté comme un futur troisième centre.

On peut difficilement faire un choix plus safe que ça! Mais on peut aussi penser qu’il y a un certain talent offensif encore un peu caché chez Beck. En tous cas, il ressemble vraiment à Bergeron sur la glace sur certaines séquences!

Enfin, l’avenir nous dira si on a eu raison d’y aller plus prudemment avec ces deux joueurs, plutôt qu’avec Kulich et Firkus…

Les « petits » Hutson et Tourigny

Voilà deux sélections que j’adore!

Le Canadien aurait pris le petit défenseur gaucher Hutson au 26e ou 33e et j’aurais été content. Mais de l’obtenir au 62e échelon, ça tient presque du miracle vu d’ici!

Imaginez si la petite maladie qui a causé un retard dans le développement osseux de Hutson se résorbe et que le CH se ramasse avec un défenseur de presque 6 pieds avec un tel talent!

Mais même à 5’8 ou 5’9, je ne parierais pas contre ses chances. Un cerveau de ce genre, ça ne s’invente juste pas et c’est probablement sa petite taille qui l’a forcé à développer son QI hockey.

La vie avec un grand V est bien faite parfois…

L’histoire de Miguël Tourigny est fort intéressante elle aussi. Ignoré deux fois au repêchage, il n’aurait même pas daigné se rendre au Centre Bell!

Qu’à cela ne tienne, le CH qui lui avait montré beaucoup d’intérêt cette année, a pour ainsi dire tenu parole à son endroit et l’a repêché en 7e ronde.

Appelez ça un nanane pour les partisans québécois si vous voulez, je préfère plutôt voir Tourigny comme un excellent défenseur offensif droitier qui méritait d’être repêché, point! 80 points en 65 matchs, dont 31 but. Excellent patineur côté d’un puissant tir.

Comme pour Hutson, rendu à ce rang, on ne parle exactement plus d’un gros risque. Juste un choix plein de bon sens.

On a aussi de grosse chance de voir Tourigny à Laval dès l’an prochain.

Son parcours sera très intéressant à suivre.

Du reste, Hughes a construit une bonne partie de sa carrière d’agent en misant sur des talents québécois. Je vais donc me garder une grosse gène avant de tirer des conclusions hâtives sur la relation que le nouvel état-major entretient avec la LHJMQ. Donnons la chance au coureur.

Deux coups de cœur dans la OHL!
Je ne connaissais pas l’Autrichien Vinzenz Rohrer ni le Franco-Ontarien Cedrick Guindon.

En fait, j’avais vu le très court descriptif sur Rohrer au 73e rang dans ma copie papier (oui oui!) du Hockey News, mais rien de rien sur Guindon.

Mais le CH les connaissait pas mal, et, ma foi, les extraits vidéos qu’on peut voir d’eux sont plutôt convaincants!

Dans les deux cas, ils deviendront sans doute un peu plus gros et plus forts et n’en seront que meilleurs.

Rohrer, choix de 3e ronde, autre brillant jeune homme, très habile et bon dans tout – même au tennis et au ping pong!- se démarque par une vitesse hors du commun et un excellent sens du jeu, Scott Wheeler (The Athletic) a d’ailleurs écrit un excellent article détaillé sur lui et y voit peut-être un diamant brut. Je vous en recommande la lecture!

De son côté, Guindon, recrue du mois de mars dans la OHL, choisi en 4e ronde, est peut-être un peu moins rapide, mais possède un tir chirurgical et un instinct de marqueur.

On les suivra avec attention dans la OHL l’an prochain alors qu’ils pourraient tous deux se classer parmi les bons marqueurs de la LNH avant l’âge de 19 ans…

On est pour l’instant moins emballé par les sélections des Engstrom, Davidson, Croteau et Nurmi, mais dans l’ensemble l’autre monstre à deux têtes du Tricolore, Bobrov et Lapointe, en charge du recrutement, semble avoir opté pour un mélange de tentatives de coups de circuit et de choix plus sûrs qui jouent de la proverbiale « bonne façon ».

On aurait aimé un peu plus de « risque » ou d’audace au 26e et 33e rang, mais la stratégie se défendait.

Si on pense à Slafkovsky, un choix un peu à contre-courant, de la transaction du populaire Romanov et de l’acquisition du jeune Dach, on peut certainement parler d’un repêchage audacieux. Mais on y voit davantage une approche logique et calculée que d’un repêchage et de décisions kamikazes.

On sent aussi que l’importance du profil psychologique des joueurs a dû peser lourd dans la balance dans plusieurs décisions.

Certes, seul le temps nous dira si la nouvelle administration nous aura livré un grand cru.

Mais on a surtout hâte de voir si la nouvelle direction sera meilleure que l’ancienne à faire en sorte que le temps dise plus souvent « oui » quand on va lui poser la question.

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