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Le modèle qui fait gagner la Coupe Stanley doit inspirer le Canadien

Texte écrit par Franz Schurch

Le Canadien de Montréal prétend être en reconstruction. C’est la première fois depuis que cette équipe m’intéresse qu’on ose ce mot. Durant toutes les années 2000, on se contentait d’une aristocratique médiocrité: à Montréal, il faut faire les séries. On les faisait parfois, grâce à des vétérans impressionnants : Doug Gilmour s’est laissé glisser sur la patinoire de l’amphithéâtre qui a eu trop de noms vides depuis qu’il s’appelait Forum, Kovalev a enchanté les amateurs de beauté.

On a parlé de réorientation (retool); l’équipe de Bergevin est passée près du but, Carey Price a fait une demi-finale et une finale. La direction nous a dit pour la première fois qu’à présent, nous acceptons de ne pas faire les séries, voire d’être les pires. Pourquoi? Quel est le plan qui permettra, nous dit-on, d’avoir une équipe championne?

Quand on pose cette question à des dirigeants, ils sont toujours vagues et extrêmement abstraits. Repêchage, développement, culture, caractère, ou ésotériques : chimie, impondérables, etc. J’aimerais proposer une thèse assez simple. Une équipe ne peut prétendre sérieusement à un championnat et d’autant moins à plusieurs — ce qu’une équipe vraiment championne devrait toujours viser– si elle ne dispose pas d’une ossature assez simple à nommer.

Voici cette ossature : deux centres de premier niveau qui peuvent prétendre gagner des trophées Art Ross, Hart, voire Selke ; un ailier de premier niveau qui peut prétendre à la même chose ou du moins à gagner le Maurice Richard ; un défenseur qui peut prétendre au Norris.

En fait, très peu d’équipes qui n’avaient pas ces quatre types de joueurs ayant effectivement reçu ces trophées ont gagné la Coupe ces quarante dernières années. L’ossature est parfaitement illustrée par les Oilers des années 80 : Gretzky-Messier-Kurry-Coffey. Elle l’est aussi par les Penguins : Lemieux-Francis-Jagr-Coffey (ou Murphy). Elle l’est aussi par les Red Wings : Yzerman-Fedorov-Shanahan-Lidstrom; par l’Avalanche : Sakic-Forsberg-Kamensky (Hejduk)-Osolinsh (Blake-Bourque).

Plus proche de nous : Crosby-Malkin-Kessel-Letang, Stamkos-Point-Kucherov-Hedman et, la démonstration la plus éloquente est faite par Washington, plusieurs fois meilleure équipe de la ligue incapable de gagner la coupe avec Ovechkin-Semin-Backstrom et Green, mais qui l’a gagnée quand elle a eu son deuxième centre de premier plan, Kuznetsov.

Depuis quarante ans, et nous pourrions remonter bien plus loin pour vérifier que cette ossature est fondamentale, seules six équipes ont un peu triché. Canadiens 86, qui avaient le premier centre, l’ailier et le défenseur, mais pas vraiment de deuxième centre. Oilers 90, qui n’avaient pas de grand second centre ni de grand premier défenseur. Canadiens 93, qui avaient l’ossature (Damphousse-Muller, voire Savard-Bellows-Desjardins), mais dont les joueurs n’étaient pas aussi superlatifs dans leur position que les autres exemples que nous avons. Rangers 94, qui n’avaient pas de deuxième centre de premier niveau. Bruins de 2011, qui n’avaient pas de deuxième centre vraiment impressionnant. Caroline 2006, qui n’avait pas de vrai premier défenseur en Kaberle, et Saint-Louis 2019.

Notons que toutes ces équipes ont eu cependant trois des quatre éléments que nous avons ciblés, et qu’elles n’ont pas réussi à gagner plus d’une Coupe. On peut dire la même chose des deux derniers gagnants, l’Avalanche et Vegas, auxquels il manque le deuxième centre dominant, bien que Stephenson et Kadri ait joué un rôle qui s’apparente à celui d’un tel centre lors de leur conquête.

Deux équipes ont semblé déroger de façon plus substantielle à la règle que je veux faire valoir et méritent notre attention, car elles ont gagné plusieurs coupes : le New Jersey 19995-2000-2003 et les Blackhawks 2010-13-15. Les Blackhawks avaient l’ossature, moins le second centre de premier niveau. Leur premier centre n’était par ailleurs jamais un prétendant au Art-Ross ou Hart. Ils ont su compenser par d’autres ailiers superlatifs comme Hossa et, dans une moindre mesure, Sharp.

Cette équipe déroge à la règle, mais elle montre quand même que pour gagner, il faut trois attaquants au plus haut niveau (Toews-Hossa-Kane) et un défenseur qui gagne le Norris (Keith). Peut-être les Selke de Toews expliquent-ils la différence entre Chicago et le Washington d’avant Kuznetsov.

La grande exception est toutefois le New Jersey. L’équipe de 95 n’a aucun centre dominant, celles de 2000 et 2003 ont Arnott et Holik, puis Gomez, ont de bons ailiers, mais rien d’extravagant. Évidemment, il y Niedermayer et Stevens. Puis Brodeur, me direz-vous.

Pourquoi donc, justement, n’ai-je pas parlé de gardien? Parce que je pense que ni Osgood, ni Richter, ni Schneider, ni Kuemper, sans parler de Barasso, Vernon et Fuhr, n’étaient des gardiens de premier niveau. Ces quarante dernières années, la Coupe a été gagnée quatre fois par Roy, toujours dominant (trois Conn Smythe), une fois par Hasek, trois fois par Brodeur, qui n’ont pas été si déterminants dans le parcours de leur équipe, une fois par Belfour, deux fois par Vasilievsky.

Neuf fois seulement en quarante ans (trente-neuf saisons puisqu’il n’y en a pas eu en 2005), un gardien vedette de son équipe a mené celle-ci à la conquête ultime. Les grands gardiens tout seuls (Hasek avec Buffalo, Price avec Montréal, Vanbiesbrouck, Hextall) perdent en finale.

En revanche, 23 fois sur 39, une équipe qui avait deux centres de premier plan, un grand ailier et un grand défenseur a gagné la Coupe. Sur 39 ans, une équipe qui avait trois grands attaquants et un grand défenseur gagnait la Coupe 32 fois. À part Jersey et Saint-Louis, les autres équipes ayant gagné avaient au moins un attaquant de premier niveau, sinon plusieurs qui se rapprochaient de ce niveau. Et aucune équipe à part les Canes n’a gagné sans un défenseur de calibre Norris.

Toutes les équipes ayant eu l’ossature dont je parle (deux grands centres, un grand ailier et un grand défenseur) ont gagné la Coupe mis à part les Leafs actuels, qui sont encore jeunes et qui auront la chance de se reprendre si on ne démantèle pas l’équipe.

La seule exception qui défie sérieusement la règle est celle des équipes de Lou Lamoriello. Pourtant, à Montréal, on ne cesse de défendre le modèle de Lamoriello : équipe équilibrée qui joue bien défensivement. C’est un juste renversement, Lamoriello qui admirait le Canadien, équipe qui a fini par rejeter Lafleur pour épouser Lemaire qui a ensuite été engagé par Lamoriello. Nous touchons au noeud du problème, mais j’en parlerai une autre fois.

Ce qui importe à présent, c’est de se demander si Suzuki est Yzerman (puisqu’on sait bien qu’il ne sera pas Lemieux ni Gretzky ni Crosby ni McDavid), si Dach est Francis, si Caufield est Bossy et si Reinbacher a une chance d’être Niedermayer.

Prolongation

C’est ainsi qu’il faut analyser une équipe. Pour gagner des championnats, ça prend, pour être un peu modeste, au minimum, Lecavalier-Richards-St-Louis-Boyle. Pour en gagner plusieurs, ça prend au minimum Forsberg-Sakic-Hejduk-Blake.

Dites-moi qui, chez le Canadien, ressemble à ça et je vous dirai si la reconstruction a du sens. En ce moment, je ne vois rien qui ressemble même à un squelette.

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