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Sélection controversée de Mailloux : La conscience morale et sociale du CH mise à l’épreuve

Avertissement : Le texte qui suit portera entre autres sur les crimes de nature sexuelle commis par le choix de première ronde du Canadien Logan Mailloux. Il n’est en aucun cas une tentative de banaliser le geste de Mailloux ni d’excuser la décision du Canadien de le sélectionner. L’auteur veut essentiellement susciter et approfondir la réflexion.

D’emblée, je tiens à dire que je ne parlerai pas des qualités de hockeyeur de Mailloux dans cet article. D’autres l’ont déjà fait ailleurs. Trevor Timmins lui-même en a parlé. Personnellement, je n’avais jamais vu jouer Mailloux avant les quelques séquences vidéo présentées vendredi soir. Je m’abstiendrai donc sur ce point.

Je vais, pour une rare fois sur ce blogue sportif, me positionner davantage en tant que professeur des cours Éthique et politique ainsi que Sports, identités et sociétés que je donne au niveau collégial. Ce dernier cours s’inscrit dans la suite de mon mémoire de maîtrise qui traitait, entre autres, de la place qu’occupe le Canadien de Montréal dans la société québécoise et dans notre imaginaire collectif.

Ainsi, comme plusieurs d’entre vous, j’en suis encore davantage à essayer de comprendre la décision du Canadien d’avoir choisi Mailloux et je me questionne beaucoup sur comment ils – le Canadien et Mailloux – en sont arrivés là. Et je ne suis pas sûr que la version officielle soit très claire.

Rappelons d’abord quelques faits :

Mardi dernier, une heure après que The Athletic publie un article dans lequel la victime de Mailloux nous dit que ses excuses à son endroit sont insuffisantes et manquent de sincérité, Mailloux (et son agent?) publie un message dans lequel il demande aux 32 équipes de la LNH de ne pas le repêcher car il manque de maturité, et qu’en somme il ne mérite pas d’être sélectionné.

On connait la suite.

Mailloux est repêché par le Canadien qui avait déjà préparé un communiqué que lira immédiatement Marc Bergevin dans les minutes qui suivront la sélection.

Dans l’univers du sport professionnel et considérant ce que signifie le Canadien de Montréal au plan social, était-il alors vraiment possible et imaginable que Mailloux n’était pas au courant de la TRÈS grande possibilité que le CH le repêche avant vendredi soir et qu’il n’aie aucunement été préparé, impliqué ou consulté d’une manière ou d’une autre par rapport à ce communiqué avant la sélection du joueur?

En tous cas, son agent semblait bien au courant lui, comme nous le confirme Trevor Timmins dans ces propos que nous rapporte Arpon Basu :

“We’re allowed verbal contact,” Timmins said. “I reached out to the agents and made sure everything was OK, and they assured me everything was fine. He was emotional at one point when he put that (statement) together, which I totally get. But we felt really confident with the interview we had in the past and with reassurance from the agency that represents him.”

Et l’autre communiqué, celui lu par Mailloux le lendemain, a-t-il vraiment été préparé sous le choc entre minuit vendredi soir et samedi matin 10h30?

Je vous laisse en tirer vos propres conclusions…

Quand on entend ce que disent les autres jeunes joueurs repêchés par ce même Canadien en fin de semaine par rapport au fait que leurs agents ont tous eu des communications récentes avec le club, on peut certainement douter que les agents n’en glissent pas un mot ou deux à leurs clients, incluant Mailloux…

Puisqu’on en parle, vous avez sans doute remarquer les quatre joueurs de la LHJMQ choisis à compter de la 2e ronde, dont trois Québécois, une première en 23 ans!

Les joueurs de la LHJMQ étaient « disponibles au bon endroit » pour le CH cette année, selon Timmins… 

Comme le hasard fait bien les choses cette année, n’est-ce pas?

Avait-on besoin d’un petit spin médiatique positif le samedi?

RDS a d’ailleurs même titré un segment de Sports30 ainsi : « Le CH rachète son choix douteux en 1ère ronde en sélectionnant quatre joueurs de la LHJMQ! »

Mais revenons à notre sujet principal.

Une risque calculé dans un univers sportif parallèle 
Maintenant, après ces considérations préliminaires, ce que je m’apprête à écrire risque de déplaire autant aux plus fervents partisans de la cancel culture, dont certains voudraient faire de Mailloux un non-être orwellien, qu’à ceux qui prennent cette même culture en grippe, qui banalisent le geste, et qui ont juste hâte d’applaudir les exploits sportifs de leur nouveau joueur.

Mais j’espère surtout que ça plaira à ceux et celles qui veulent réfléchir un peu plus loin.

D’abord, bien sûr que Logan Mailloux a droit à une deuxième chance. Tout le monde a droit à une deuxième chance à 17 ans. Même la grande doyenne de RDS, Chantal Machabée, le dit.

Et c’est ce que permet notre système de justice, aussi imparfait puisse-t-il être.

Mais devait-on pour autant récompensé aussi tôt un jeune homme qui venait de commettre un tel geste?

N’oublions pas que la victime, quoi que certains en disent de façon ignorante et honteuse sur les réseaux sociaux, pourrait être marquée à vie par la diffamation et l’entrave à sa vie privée qu’elle a subi.

De son côté, Mailloux aura certainement une pente plus abrupte et moins « reposante » à gravir avant d’atteindre son objectif de carrière, et rien ne garantit qu’il y parviendra. Entre autres, plusieurs ne lui pardonneront jamais et il le sait déjà.

Le moins que le CH et Mailloux devront faire sera de s’engager à faire amende honorable. Pour la victime d’abord. Pour la société et les fans ensuite. Et ça devra commencer plus tôt que tard.

Car, la voie morale la plus facile, la plus simple, la plus sûre, et peut-être bien la plus « éthique » dans l’absolu, aurait sans doute été de ne pas repêcher Mailloux ou, à tout le moins, d’attendre à l’an prochain pour le faire. Cela aurait donné le temps au jeune de formuler des excuses que la victime trouve acceptables – si tant est que cela soit possible – et de réparer un peu plus la faute grave qu’il a commis par des gestes concrets se situant bien au-delà du simple suivi professionnel par une psychologue. C’est d’ailleurs exactement ce genre d’engagements que Mailloux (et son agent?) semblait avoir en tête lorsqu’il a publié son fameux message le 20 juillet.

Mais tout ça est dans un univers moral théorique et parfait, un monde idéal où les choses arriveraient comme on souhaiteraient qu’elles arrivent, selon nos convictions.

Même si comme mon collègue Maxim Truman, on peut penser que le sport professionnel devrait toujours être conscient qu’il ne se situe pas à l’extérieur de la société, la triste réalité, c’est que justement très souvent il se croit dans univers parallèle, un univers où les équipes milliardaires pensent qu’elles pourront toujours contrôler le message au besoin. C’est un monde où l’on veut gagner à tout prix et dans lequel plusieurs équipes sont certainement prêtes à faire quelques acrobaties morales pour y parvenir.

Des millions de dollars sont en jeu.

Des emplois valant des millions de dollars sont aussi en jeu.

La victoire fait foi de tout. La fin justifie les moyens.

Et pour ceux et celles qui se rappellent de leur cours de philo 103 au cégep, le cours Éthique et politique, dans la réalité des décisions d’affaires, l’utilitarisme, pour qui la fin justifie les moyens, l’emporte presque toujours au moment de la décision sur les idéaux moraux kantiens, qui estiment que certaines choses ne devraient jamais être faites, peu importe le contexte, peu importe les conséquences.

En d’autres mots, chez le Canadien, on a fait le calcul bien froid que les « avantages » de repêcher Mailloux seront au bout du compte supérieurs aux « inconvénients » de devoir faire face à tout ce qui découlera de la tempête médiatique actuelle et pour laquelle ils se sont très clairement et amplement préparés.

La machine était bien huilée. Mailloux nous a déjà dit quels genres d’engagements il entend prendre, comme le rapporte Arpon Basu :

« I just think whether it’s sort of passing on my story and my mistakes to sort of the next generation or to younger kids, I’d love to be able to use my platform to try and make some positivity out of it, out of a negative situation,” he said. “So, I think if I can help people to not make the same mistake as I did or something along those lines, then I definitely think that would be able to bring a positive impact for sure.”

Voilà! On dirait presque que Mailloux et/ou les spin doctors du CH ont suivi le cours 103!

Pour un utilitariste de l’acte comme Bentham – ou comme Bergevin et le CH! – si au bout du compte il y a plus de « bon » que de « pas bon » qui sort d’une situation, si les plaisirs supplantent les douleurs, alors tout est beau, c’est moral! Dans une telle perspective, n’en déplaise à plusieurs, il n’y a pratiquement aucun geste, aucune action qui est mal en elle-même et donc éternellement condamnable, l’important c’est exclusivement ce qui en ressortira.

Dans ce cas-ci, c’est comme si les dirigeants du Tricolore avaient fait le calcul que la douleur éprouvée par la victime et les fans, puis dans une bien moindre mesure, les inconvénients que doivent maintenant endurer le fautif Mailloux et l’organisation du CH elle-même, ne contrebalanceront pas tous les bienfaits qui en découleront si le pari fonctionne :

1) En plus de recevoir de meilleures excuses, la victime pourrait même être dédommagée monétairement suite à une entente avec Mailloux et l’organisation milliardaire qui l’a sélectionné.

2) Les centaines ou les milliers de jeunes sportifs que rencontreront Mailloux et le CH par le biais d’allocutions ou d’ateliers, en gros, des jeunes hommes qui auraient pu poser des gestes analogues, seront maintenant plus conscientisés et seront plus propices à devenir des acteurs de changement au sein de leur milieu.

3) Puis, les victoires que l’équipe engrangera, entre autres, grâce audit talent de Mailloux, procureront éventuellement du plaisir à des millions de personnes.

C’est-ti pas beau ça?

Mais je ne pense pas que Timmins aurait pu répondre une telle chose et présenter un tel calcul suite à la très brillante question de Marc-Antoine Godin!

Il y a une certaine version cynique du monde qui émane de ce genre de calcul d’utilité qui passe très mal dans certains contextes.

Donc, pour le dire plus crûment, le CH a tout simplement repêché Mailloux car ils estiment qu’il est juste trop bon au hockey et que pour tout le reste, ils allaient s’arranger avec ça car ils ont la machine de gestion de crise pour le faire.

La suite des choses…
Quoi qu’il en soit, le moins que l’on puisse dire c’est que le Canadien a trouvé un tout autre sens au fameux « Hockey is for everyone », Le hockey est pour tout le monde, le slogan de la LNH faisant la promotion d’un hockey plus « inclusif »…

On verra maintenant si la tempête médiatique emportera Bergevin, Timmins, Molson et compagnie. Certains sont même allés jusqu’à évoquer une forme de « suicide professionnel » de la part de Bergevin…

Mais en supposant, comme c’est le cas actuellement, que le CH garde le cap avec son choix de Mailloux, que reste-t-il à faire?

Si ce n’est déjà fait, Mailloux devra effectivement mieux s’excuser auprès de la victime et s’impliquer socialement de manière sincère pour payer sa dette morale et sociale au cours des prochains mois. L’idée qu’il évoque lui-même de rencontrer des jeunes pour les sensibiliser par rapport aux violences sexuelles n’est certainement pas mauvaise.

Mailloux doit donc devenir un modèle de conscientisation sociale. Rien de moins. Une bonne commande pour un jeune d’à peine 18 ans. Mais dans un tout autre registre, si Greta Thunberg en a été capable à 15 ans, Mailloux doit au moins s’y essayer.

De son côté, comme aux yeux de millions de fans qui tombent de haut après le si beau parcours éliminatoire de l’équipe, la décision du CH de sélectionner Mailloux est à tout le moins fort questionnable moralement et socialement, et qu’elle choque la population peut-être encore davantage que le geste odieux commis par son joueur, ça serait une méchante bonne idée que le Tricolore, comme citoyen corporatif modèle et comme institution sociale, s’engage à entrer en discussion et, qui sait, à aider financièrement les différents organismes qui s’occupent de femmes victimes de violences sexuelles, et qu’il fasse évidemment sa part pour contribuer à la conscientisation sur ces mêmes violences auprès des jeunes joueurs de la LHJMQ et du hockey mineur.

Ou quelque chose du genre.

Il doit appliquer avec Mailloux une forme de justice réparatrice au sein de la communauté.

Car juste accompagner son jeune joueur dans son développement personnel pour que celui-ci puisse offrir un bon retour sur investissement passerait difficilement.

Voire, ne passerait carrément pas pour plusieurs.

L’utilitarisme peut être moral. À condition d’avoir une conscience et pas juste une calculatrice.

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