Suite au truculent match entre les Sénateurs et le Canadien mardi dernier, le débat sur les bagarres au hockey a repris de plus belle.
Mais, le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il ne lève pas très haut, le débat…
D'un côté, il y a bien sûr eu la réponse de la ministre responsable du Sport, du Loisir et du Plein air, Isabelle Charest qui a invité les partisans à manifester leur mécontentement par rapport aux bagarres, entre autres, en n'achetant plus de billets.
Mme Charest est la même ministre derrière les mesures dissuasives interdisant les bagarres dans la LHJMQ depuis 2023. Sans surprise, elle a réitéré « ne pas croire aux bagarres au hockey ».
De l'autre, en réponse à Mme Charest, on a ressorti le mythique « ça fait partie de la game » qu'on nous sert jusqu'à plus soif à la radio et un peu partout depuis mardi dernier.
Dans le même ordre d'idées, certains en ont même définitivement concluent que les « bagarres sont là pour rester » dans la LNH. Un peu comme la Terre qui poursuit inexorablement son orbite autour du soleil.
Comme une loi immuable.
Appelons cela la thèse « essentialiste » ou « naturaliste », si on préfère. Les bagarres feraient ainsi partie de l'essence ou de la nature même du jeu!
On mélange ici nature et culture… et ça, pour le prof de philo en moi, ça ne mérite pas la note de passage!
Par analogie, c'est un peu comme si on disait que le lait fait partie de l'essence ou de la nature du café et qu'il y aura toujours du lait dans le café!
Mettre du lait dans le café le rend peut-être meilleur au goût de certains, mais il ne fait pas partie de son essence en tant que telle! C'est une simple habitude culturelle, un choix, qu'on adopte… ou pas.
Et n'oublions pas que le hockey en lui-même est culturel, comme n'importe quel jeu, et comme pour n'importe quel jeu, les règles peuvent changer.
Tout est une question de volonté. Et probablement d'argent.
Mais comme pour le lait dans un bon latte, cela ne m'empêche pas de reconnaître aisément que les bagarres ajoutent au hockey un élément savoureux et spectaculaire!
Les bagarres apportent souvent une dimension encore plus intense et émotive aux duels entre les joueurs et les équipes.
Bien que très peu édifiant au plan intellectuel (et pas un très bon exemple lorsqu'on regarde le matchs avec ses enfants…), je boude moi-même rarement mon plaisir en pareille occasion!
Et j'imagine que plusieurs se reconnaissent dans ce que je dis!
On comprend dès lors que l'humain n'est pas seulement qu'un être de raison et qu'il n'en est pas à un paradoxe près…
Je pense ressens, donc je suis!
Take that, Descartes!
Proches cousins des chimpanzés, et partageant 98% de leur ADN, il y a probablement de l'agressivité en chacun de nous.
Ce n'est pas pour rien que le « vulgaire plaisir » ressenti en regardant d'autres humains se battre et se taper sur la gueule semble vieux comme le monde. Allo, les Grecs et les Romains!
Même l'Ancien Testament semble encourager la bataille et la vengeance avec sa loi du Talion : « oeil pour oeil, dent pour dent ».
Il y a aussi de brillantes carrières au cinéma qui ont été construites sur ce spectacle cathartique de la violence mise en scène. Allo, Sylvester et Arnold !, héros valeureux de toute une génération!
Ainsi, la bagarre ne fait pas partie de la game en tant que telle, mais l'agressivité, elle, semble bel et bien faire partie de l'humain… et plusieurs ont depuis longtemps compris qu'on pouvait faire du cash en la mettant en spectacle.
L'humain est donc un paradoxe vivant qui oscille lui même entre nature et culture, raison et déraison, guerre et paix, amour et haine, beauté et laideur, pulsion de vie et pulsion de mort, fureur et calme, désir et contrainte, etc.
C'est peut-être en partie pour ça qu'on aime tant le hockey ; peu de sports sont aussi humain quand on y pense…
Au plan stratégique, les bagarres et les durs à cuire font partie de ce qu'on appelle la « carte de l'intimidation ». L'intimidation sous toutes ses formes n'est pas formellement interdite au hockey. Elle peut souvent modifier le comportement de l'adversaire en semant le doute chez lui, voire la crainte. Participant à cela, il arrive que les bagarres peuvent galvaniser les troupes et aident à gagner des matchs ici et là en cours de saison.
Puis, en certaines occasions, comme ce fut le cas cette semaine à Québec dans le match préparatoire entre le CH et les Sénateurs, les bagarres de solidarité peuvent contribuer à souder encore plus profondément une équipe.
Ainsi, comme l'avaient pensé les Iroquois au sujet de la crosse – un autre jeu plutôt rude – le sport peut souvent être perçu comme « le petit frère de la guerre ». Et qui dit guerre dit frères de combat, mais aussi, risques de confrontations violentes et de gros bobos…
Le mythe des coups vicieux…
C'est ici qu'il faut cependant aborder un second mythe qui a lui aussi la couenne dure au sujet des batailles, soit qu'elles auraient le pouvoir quasi-magique d'empêcher ou de freiner les coups vicieux et/ou dangereux.
Je ne dis pas que c'est 100 % faux, mais disons que la réalité indique que c'est très loin d'être une grande vérité!
Par exemple, Arber Xhekaj n'était-il pas en uniforme lors du match 4 de la séries face aux Caps? Ça n'a pas empêché le gros Tom Wilson de s'en donner à coeur joie sur le petit Alexandre Carrier. Xhekaj n'est jamais allé sérieusement discuter de la chose avec Wilson par la suite…
CLEARLY a Headshot by Tom Wilson on Alex Carrier 🤬 pic.twitter.com/TfLzIxgiIe
— JeSuisCH🏒BleuBlancRouge (@HabsHappy) April 28, 2025
Les vermines fatigantes comme Cousins vont presque toujours trouver un moyen de dépasser la limite, tout en évitant (ou en prenant le risque) de se faire casser la gueule par la suite.
Et voulez-vous qu'on reparle de Chara sur Pacioretty? Scheifele sur Evans?
Malgré la présence plus que tolérée des bagarres, n'assiste-t-on pas année après année à des gestes qui seraient passibles de poursuites au civil, voire d'emprisonnement s'ils étaient commis dans la vie ordinaire?
Bref, bagarres ou non, il y aura toujours pas mal de coups salauds dans la LNH, du moins tant que des suspensions systématiques très mordantes de 10-20-40 matchs, et pouvant même aller jusqu'à l'expulsion définitive de la ligue, ne soient régulièrement appliquées pour les fautifs et récidivistes.
Faut croire que les finances de la ligue et celles de l'association des joueurs aiment bien que les joueurs continuent à se faire « justice » entre eux…
Le mythe de l'empêchement des coups salauds par les bagarres ou les supposés « policiers » en est un payant…
Or, l'essence de ce sport de contact qu'est le hockey demeure de mettre la rondelle dans le filet adverse et faire en sorte qu'elle n'entre pas trop souvent dans son propre filet. À cette fin, les principales habiletés requises vont de la vitesse, à la créativité en passant par l'agilité, l'intelligence, la précision, la force et la robustesse.
Pas si différent du football américain quand on y pense. Et pourtant la bagarre n'a jamais fait partie de la culture du football, faut-il le rappeler…
Tout est donc, au fond, une affaire de conventions sociales et de décisions qui appartiennent aux différentes ligues et/ou paliers de gouvernement.
Tout dépendra de la volonté des personnes responsables. Les dirigeants sportifs et politiques ont toujours le choix.
À preuve, on retrouve depuis longtemps un règlement anti-bagarre au sein de la Fédération internationale de hockey sur glace (FIHG).
Puis, en 2023, c'est à suite à une étude sérieuse réalisée auprès de plus de 6 000 joueurs ayant évolué dans la LNH depuis 1967, que la ministre Isabelle Charest a forcé la main de la LHJMQ. L'étude avait entre autres démontré que les 331 « hommes forts » identifiés par la recherche mourraient en moyenne 10 ans plus tôt que les autres joueurs.
Maintenant, si comme la LHJMQ et la FIHG, on veut écouter les avis de la science et ramer dans la sens de la dissuasion plutôt que de garder le gaz au fond en direction des cotes d'écoute, des clics et du son des beaux dollars, on sait tous que les bagarres sont dangereuses pour le cerveau, et que les risques de blessures graves, voire mortelles, sont bien réels.
Paul Byron n'a plus jamais été le même joueur après sa commotion subie lors d'un combat contre MacKenzie Weegar en mars 2019.
Earlier this year, Paul Byron was handed a 3-game suspension for charging MacKenzie Weegar and giving him a concussion. Byron had apologized, but it seems Weegar still had a score to settle tonight. pic.twitter.com/JtUaXSZq2Z
— Hockey Night in Canada (@hockeynight) March 27, 2019
Plus récemment, le cas du jeune Ross Campbell des Islanders de Charlottetown a provoqué tout un émoi lorsque sa tête a lourdement heurté la glace lors d'une bagarre. Il aurait pu y passer, comme ce fut le cas pour Don Sanderson en 2009, un jeune joueur non professionnel mort à 21 ans.
Ironiquement, George Parros, le vice-président principal de la sécurité des joueurs, a lui-même failli y passer sur cette triste séquence qui a à peu près mis un terme à sa carrière :
I would but my last fight didn't go so well 😐 pic.twitter.com/IfZJjMetd0
— Late Night With Uncle PARODY Pants George Parros (@SafetyNhlParros) January 20, 2019
Ça aurait dû faire réfléchir davantage…
On peut aussi ramener à la mémoire les décès prématurés de durs de durs comme Bob Probert (45 ans), Derek Boogard (28), Jon Kordic (27), Rick Rypien (27), Wade Belak (35)et Chris Simon (52) qui ont tous souffert de problèmes physiques et psychologiques importants : encéphalopathie traumatique chroniques (ETC), consommation de drogues, allant parfois jusqu'à l'overdose et au suicide…
Pour un Georges Laraque au cerveau intact, il y en a plusieurs qui s'en tirent, disons, beaucoup moins bien…
En général, on note tout de même une forte baisse des bagarres depuis l'instauration du plafond salarial dans la LNH en 2005. On peut aussi voir l'interdiction d'enlever les casques de façon intentionnelle avant ou durant les bagarres comme une forme d'encadrement allant dans le sens de la « sécurité ».
Avec les données de la science, les efforts de plusieurs décideurs politiques et sportifs, ainsi que de nombreux parents qui choisissent d'autres activités pour leurs enfants à cause de la violence qu'on y retrouve, il y a bien une certaine forme de processus civilisationnel (lisez Norbert Elias!) qui est déjà en cours par rapport au hockey et qui me fait dire que les bagarres ne sont pas nécessairement là pour rester, même au niveau de la LNH.
Peut-on imaginer que les bagarres seront encore aussi omniprésentes dans 10, 25 ou 50 ans?
Aujourd'hui, s'il arrivait quelque chose de malheureux impliquant les frères Xhekaj, que diriez-vous?
Et si c'était votre fiston?
Ainsi, si ça ne se fait pas avant, il suffira peut-être qu'il y ait mort d'homme ou blessure très grave sur la glace à la suite d'une bagarre dans la LNH – ou une autre ligue de haut niveau – pour que les décideurs agissent en direction de ce qu'on pourrait appeler un véritable progrès.
Ça et, oui Mme Charest, un peu de pression du public…
En somme, oui, les bagarres sont spectaculaires, oui, elles sont populaires, oui, elles ajoutent de l'émotion, mais qui arrêterait de regarder son sport préféré si jamais on les interdisait plus strictement?
N'est-ce pas là la preuve qu'elles ne font pas essentiellement partie de la game?
Mes mononcs' en Beauce, adeptes de la bière de route entre les jambes dans les années 60-70, n'ont pas arrêté de tripper sur les gros chars huit cylindres après qu'on ait resserré les lois sur l'alcool au volant…