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Canadien de Montréal : La nation au service de la performance?

« Pourrait-on envisager que [le] nationalisme culturel canadien-français/québécois se soit manifesté à travers les performances historiques du Tricolore? Plus précisément, existe-t-il une relation entre la proportion de joueurs francophones au sein du Canadien de Montréal et la performance, c’est-à-dire la proportion de victoires en saison régulière d’une part et le fait de remporter la coupe Stanley d’autre part ? »

Voici les questions qui ont motivé l’historien Emmanuel Lapierre dans sa recherche intitulée « Nationalisme culturel et performance dans l’histoire du Canadien (1926-2012) : Une étude de cas », récemment publiée dans la revue internationale d’études québécoises Globe.

Ces questions semblent simples et ont été soulevées et débattues à des milliers de reprises dans les médias traditionnels et sociaux au fil des ans.

Pourtant, personne n’avait encore fait une étude historique sérieuse, bardée de statistiques impressionnantes et de constatations difficilement réfutables pour faire avancer le débat au-delà des perceptions et des feelings de chacun.

Quel est l’impact du nationalisme culturel d’ici
dans toute ces conquêtes de la Coupe Stanley par le Canadien?

Le nationalisme culturel dont il est ici question a comme vecteur principal la langue qui se rattache à un même peuple, en l’occurrence, le français pour le peuple canadien-français/québécois. 

Ont donc été comptabilisé dans l’étude de Lapierre les joueurs  « nés en Amérique du Nord » et dont la « langue maternelle est réputée être le français ». Par exemple, même si Francis Bouillon est né au États-Unis, il sera identitairement associé au nationalisme culturel francophone d’ici. En revanche, le Français Christobal Huet n’a pas été inclus dans ce nationalisme.

Alors, entrons dans le vif du sujet et parlons un peu du nationalisme culturel canadien-français/québécois et de son impact sur la performance du Canadien.

Lapierre, qui a entre autres discuté avec Serge Savard et Réjean Houle dans le cadre de son étude, nous apprend d’entrée de jeu, suite à une recherche statistique, que la proportion de victoires ne varie pas vraiment de saison en saison si le Canadien compte moins de 50% de francophones ou plus de 50% de francophones. Notez bien : en saison.

C’est en séries – quand ça compte vraiment, lorsque les joueurs ne sont pas payés, que l’on carbure au sacrifice, à l’honneur et à la fierté – qu’on note un impact significativement positif lorsque le club compte environ 50% de francophones, 50% représentant le seuil où la performance du club en séries change drastiquement pour le mieux.

Par la même occasion, on remarquera et soulignera à grands traits le fait qu’aucune équipe du Canadien n’a remporté de Coupe Stanley avec une proportion de francophones inférieure à 20%. 

Les 34 éditions du Canadien composées majoritairement de francophones ont gagné 68,2% (soit 15) des Coupes Stanley du club depuis 1926-1927, comparativement aux 51 éditions minoritairement francophones qui ont gagné seulement 31,8% (soit 7) des Coupes Stanley de l’échantillon retenue.

Pour des fins scientifiques, cet échantillon exclue la période 1909 à 1925-1926. C’est en 1926-1927 qu’ont été réunies les fameuses « six équipes originales », établissant alors un étalon de mesure constant pour l’étude de Lapierre. 

L’étude révèle donc que les 34 éditions majoritairement francophones ont remporté la Coupe Stanley à 44,1% du temps (15 sur 34)!

Bien sûr, note Lapierre, « la période à l’étude n’est pas homogène ». Il y a des nuances importantes à mentionner.

Il y a, entre autres, eu significativement moins d’équipes majoritairement francophones à partir des années 80, soit à partir de la ligue à 21 équipes et plus. Ce qui fait dire à l’auteur que « La relation n’est pas claire et nette entre la proportion de francophones et le nombre de coupes remportées. On ne peut donc pas établir de lien automatique entre la probabilité Y de gagner la coupe Stanley en fonction de la proportion X de francophones dans l’équipe. »

Mais, il rajoute, « ceci dit, les équipes majoritairement francophones ont gagné beaucoup plus souvent que ce à quoi on pourrait s’attendre avec un modèle d’observation donné par le hasard. Il semble donc qu’un autre facteur que le hasard ait été lié au fait que les équipes du Canadien composées majoritairement de francophones ont remporté la Coupe Stanley 15 fois sur 34 (44,1 %), soit à toutes les deux ou trois tentatives. Ce facteur mériterait certainement d’être exploré ».

Continuant son exploration, Lapierre démontre très clairement que les éditions minoritairement francophones du Canadien ne sont pas tellement meilleurs que les cinq autres équipes originales depuis 1926-1927, soit lors des 85 saisons étudiées par Lapierre. 

En effet, ces éditions « franco-minoritaires » ont gagné la Coupe Stanley à 14% du temps (7 Coupes en 51 éditions), comparativement à 7% du temps chez les Rangers et les Hawks (4 coupes en 85 tentatives chacun), à 12% chez les Maple Leafs (10 Coupes) et à 13% chez les Red Wings (11 Coupes). 

En contrepartie, les 34 éditions franco-majoritaires, on le répète, ont gagné la Coupe non pas à 15%, ni à 20%, ni à 30% du temps, elles ont gagnée la coupe 15 fois sur 34 tentatives, soit à 44,1% du temps.

C’est énorme. C’est atypique. C’est presque une édition sur deux. 

Sans être une corrélation absolue, c’est une corrélation qui dépasse largement l’hypothèse du hasard.

Mais encore, diront certains, « à une certaine époque, le Canadien pouvait compter sur un réseau de développement sans pareil dans la ligue, ce qui lui permettait, entre autres, de pouvoir compter sur un bassin de joueurs francophones d’exception.  Il pouvait aussi mettre sous contrat les joueurs francophones sur son territoire avant toutes les autres équipes jusqu’en 1967. Puis de 1967 à 1972, il a bénéficié du droit de repêcher les 2 premiers joueurs francophones. » 

Ok, tout cela est vrai. Mais, nous apprend Lapierre, il est aussi vrai de remarquer que le Tricolore n’a pas usé de ses prérogatives aussi souvent qu’on le croit, pas même la moitié du temps, nous a-t-il révélé lors d’un entretien avec lui. 

De plus, comme Robert Sirois le disait dans sa fameuse étude « Le Québec mis en échec », les joueurs francophones ont subi un préjugé défavorable tout au long de l’histoire de la LNH et l’équipe du Canadien, pas beaucoup plus fine que les autres, a souvent entretenu elle-même ce préjugé défavorable au cours de son histoire. 

Mais de façon encore plus importante, nombreuses études à l’appui, l’accumulation de talent individuel n’est pas le facteur principal de réussite dans les sports collectifs interactifs.  Le facteur de performance le plus important relevé par ces mêmes études est la cohésion. 

Celle-ci, on peut en faire l’hypothèse est d’autant plus importante au hockey qu’au basketball, par exemple, un sport où les meilleurs joueurs peuvent passer la très grande majorité des 48 minutes sur le jeu. 

Mais encore, bon joueur et voulant donner toutes les chances possibles à la thèse adverse, Lapierre affirme que même en admettant « la possibilité que le nombre de joueurs de qualité soit le facteur qui prédise le mieux l’occurrence des succès au hockey et que, pour de multiples raisons, le Canadien a été en mesure de dénicher ces joueurs sur le territoire québécois ou même canadien, nous devrions alors observer dans l’histoire du Canadien une relation entre la proportion de victoires et la proportion de francophones ou de Québécois en saisonOr ce n’est pas le cas. ».

L’avant-dernière édition majoritairement francophone
du Canadien a gagné la Coupe Stanley. Un hasard? 
Source :  notrehistoire.canadiens.com


Quand on sait que l’enjeu est bien plus concret et élevé en séries – où tout devient presque une question de vie ou de mort – que l’honneur, le sacrifice et la fierté prennent toujours une importance beaucoup plus grande qu’en saison régulière, on reconnaîtra que c’est à ce moment que la cohésion prend toute son importance.

Or, ce que soutient Lapierre, c’est justement que le nationalisme culturel, construit autour d’une langue, d’une histoire et d’un imaginaire commun, constitue un facteur incontestable de cohésion. 

Ce phénomène de cohésion ethnoculturelle influençant positivement la performance, ne semble pas être unique aux Canadiens de Montréal. Elle peut s’observer chez d’autres équipes de la LNH, comme en ont témoigné Waltemyer et Cunningham dans une autre étude parue dans le
International Journal of Sport Management que mentionne Lapierre dans son article.  

À cet effet, je dirais que dans les 20 dernières années, on a pu apprécier ce phénomène, du moins en partie, dans un club comme les Red Wings de Detroit qui ont misé sur un important noyau de joueurs Européens avec en tête une savante composition de Russes et de Suédois qu’on a réussi à souder ensemble. 

Mais, sans se tromper, on peut penser que le Canadien de Montréal – avec le FC Barcelone au soccer –  est une des équipes de sport professionnel pour laquelle il serait le plus difficile d’affirmer que le nationalisme culturel n’a eu aucun impact sur la performance au cours de son histoire. 

Nous avons maintenant des données sérieuses qui témoignent du contraire. 

Sans y voir de relation de cause à effet parfaite comme en science, ou encore, sans dire stupidement que de miser sur 13 Xavier Delisle fera en sorte que le Canadien gagnerait la Coupe Stanley à 44% du temps dans une ligue à 30 équipes, il est plausible de croire – sans nécessairement sortir les ceintures fléchées, mais plutôt en ce basant sur des faits historiques – qu’une hausse progressive du taux de francophones au sein du Canadien de Montréal, jusqu’à concurrence d’environ 50% de la formation, augmenterait la cohésion et le sentiment de fierté au sein du club et, du même coup, ses chances de remporter le précieux trophée. 

En tout cas, selon ce que nous disent 85 ans d’histoire, ça ne nuirait certainement pas…

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